Vous avez peut-être déjà entendu cette anecdote surprenante : les Cornflakes, ces céréales emblématiques du petit-déjeuner, auraient été inventées pour freiner les pulsions masturbatoires. Relayée sur les réseaux sociaux avec une pointe d’humour, cette rumeur intrigue autant qu’elle amuse. Mais qu’en est-il vraiment ? Plongeons dans l’histoire de John Harvey Kellogg et de ses Cornflakes pour démêler le vrai du faux, avec un regard clair et moderne sur ce mythe tenace.
Au tournant du XXe siècle, John Harvey Kellogg (1852-1943) était bien plus qu’un simple médecin. Directeur du sanatorium de Battle Creek dans le Michigan, ce fervent adventiste du septième jour s’est imposé comme une figure de proue du mouvement de réforme sanitaire.
À une époque où la santé et la morale étaient étroitement liées, Kellogg prônait une vie saine à travers une alimentation végétarienne, l’exercice physique et une discipline rigoureuse. Ses convictions, influencées par des figures comme Ellen G. White, incluaient une vision puritaine de la sexualité.
Dans son ouvrage Plain Facts for Old and Young (1879), Kellogg dénonçait la masturbation, qu’il considérait comme un « vice » responsable de maux physiques et mentaux, allant des troubles digestifs à l’épuisement nerveux.
Pour lui, un régime alimentaire fade, exempt de stimulants comme les épices ou le café, pouvait calmer les ardeurs et promouvoir une vie vertueuse.
C’est dans ce contexte que les Cornflakes voient le jour. Mais étaient-elles vraiment un outil anti-masturbation ?
Vers 1894, John Harvey Kellogg et son frère Will Keith Kellogg mettent au point les Cornflakes au sanatorium de Battle Creek.
Initialement appelées « Granose », ces céréales sont conçues pour répondre à un besoin bien précis : offrir un aliment simple, léger et digeste aux patients souffrant de troubles intestinaux.
À l’époque, les petits-déjeuners américains étaient souvent riches et lourds, à base de viandes ou de plats gras. Les Cornflakes, avec leur texture croquante et leur composition neutre, représentaient une alternative saine et pratique.
Si leur caractère fade s’inscrivait dans la philosophie de Kellogg, qui associait les aliments épicés à une stimulation excessive, leur but premier était de faciliter la digestion. Le brevet déposé en 1895 pour le procédé de fabrication des « flocons de céréales » confirme cette intention : il s’agissait de créer un produit nourrissant pour les patients, et non une arme contre la masturbation.
Alors, comment les Cornflakes sont-elles devenues associées à une croisade anti-masturbation ?
Tout commence avec une simplification des idées de Kellogg. Sa vision rigoriste de la sexualité, combinée à son insistance sur les régimes fades, a prêté le flanc à des interprétations exagérées.
En 2012, un article de Mental Floss qualifiait les Cornflakes de « petit-déjeuner anti-masturbatoire », une formule percutante mais trompeuse, qui n’a jamais été utilisée dans les campagnes publicitaires de l’époque.
En réalité, les publicités pour les Cornflakes, orchestrées par Will Keith Kellogg après sa séparation avec son frère, mettaient en avant leur praticité et leurs bienfaits nutritionnels. Aucun document historique ne fait mention d’un lien explicite avec la prévention de la masturbation. Ce mythe a été amplifié par des mèmes viraux et des anecdotes reprises sans vérification, transformant une nuance historique en une légende urbaine.
Pour comprendre l’origine des Cornflakes, il faut replacer Kellogg dans son époque. À la fin du XIXe siècle, la médecine et la religion se croisaient souvent, et les idées sur la santé étaient teintées de morale. Kellogg croyait sincèrement qu’un mode de vie austère, incluant un régime alimentaire simple, pouvait prévenir des comportements qu’il jugeait néfastes. Mais réduire l’invention des Cornflakes à une croisade contre la masturbation est une caricature.
En outre, le rôle de Will Keith Kellogg est crucial. Contrairement à son frère, Will avait une vision commerciale et a transformé les Cornflakes en un produit de grande consommation, loin des préoccupations puritaines de John. Ce sont ses efforts qui ont fait des Cornflakes une marque mondiale, et non une obscure recette de sanatorium.
Ce récit continue de captiver car il mêle l’absurde à l’historique. L’idée qu’un produit aussi banal que les Cornflakes puisse être lié à une croisade morale est à la fois amusante et intrigante. Sur les réseaux sociaux, les mèmes et les publications ironiques amplifient cette histoire, jouant sur le contraste entre un petit-déjeuner anodin et les idées excentriques de Kellogg. Mais en creusant, on découvre une réalité plus nuancée : celle d’un homme convaincu que la santé physique et morale passait par une discipline alimentaire.
Les Cornflakes n’ont pas été inventées pour empêcher la masturbation, mais pour offrir un aliment sain et digeste dans le cadre des idéaux de santé de John Harvey Kellogg. Leur lien avec ses croyances sur la sexualité est indirect, limité à sa vision générale des régimes fades comme outil de modération. En démystifiant cette rumeur, on rend justice à l’histoire des Cornflakes, un produit né d’une volonté d’innovation sanitaire, et non d’une obsession moralisatrice.
La prochaine fois que vous verserez du lait sur vos Cornflakes, souvenez-vous : ce n’est qu’un petit-déjeuner, pas une leçon de morale. Et si l’histoire de Kellogg nous enseigne quelque chose, c’est que les mythes, même les plus farfelus, peuvent révéler des facettes fascinantes de notre passé.